© Marion
Je ne suis que l’œil qui regarde dans la camera. Je la vois floue. Elle danse sur les touches du piano. Elle n’est plus femme, mais la marionnette musicale du chorégraphe. Elle entre dans une transe que seul son corps habite. Aucun mot ne l’atteint. Dans son monde, elle revit, loin des brimades, loin des propos indécents qui la blesse. Quant elle danse rien ne la touche. Elle est libérée. C’est peut-être le seul moment où elle se sent vraiment vivante, humaine, une femme tout simplement.
Dans ses mouvements de sensualité elle réapprend à s’aimer. Aujourd’hui elle est là à se montrer, transportée dans l’univers où le langage vibre d’émotion, pas celui de l’agression. Son image m’est floue, alors qu’elle est devant moi en chair et en os. Je ne vois plus la proie. Je ne vois plus la faiblesse. Je ne vois plus la chose que tant convoitent comme un dû. Je l’admire, la dévore, c’est vrai, des yeux, mais seulement pour cette légèreté, cette fragilité qui me fait rêver. Je ne suis que l’œil en général.
Pourtant, dans le regards de certains de mes semblables, elle deviendrait l’esclave qui n’a pas de droit. Elle danserait sous les gestes déplacés. Elle n’entendrait que ces mots durs de pervers en manque. Elle ferait la gloire du machisme. Elle ne serait pas cette femme qui danse devant moi mais le robot des fantasmeurs. Elle ne vibrerait plus sous l’harmonie des notes, mais tremblerait sous le doigté d’un voleur sexuel.
Elle s’approprie la musique pour laisser son corps s’exprimer. Il se l’approprie de mots répugnants pour soulager son âme. Moi je ne fais que voir pourtant je ne dis rien. Est-ce la peur de perdre ma place qui est importante ou peut-être mon inconscience de le soutenir par mon silence ? La vision est pourtant dégoûtante, je n’assiste pas à un sketch, ni à une comédie musicale. On est tous là, réunis, à partager un moment extraordinaire. Malgré cela une fausse note règne parmi nous. Pour l ‘éviter elle danse. Elle danse.
J’ai décidé d’ouvrir l’œil du diable pour faire cesser l’œil du mal de mon employeur. Je vais le filmer, le piéger pour lui rendre l’œil de l’enfer qu’il fait subir à sa foufoune d’employée. Je vais lui montrer que si la force individuelle n’est pas de taille contre lui, les millions d’yeux braqués sur lui peuvent le faire danser sur un feu de paille. Elle est là dansant d’une noire à une blanche, téléportée, insouciante des yeux qui la déshabillent. Je ne suis que la vue lâche d’un de ses collègues. Je continue, avec mon objectif, de tourner ces images où elle virevolte. Je suis sous le charme. La représentation s’achève. Je rentre chez moi.
Le lendemain, j’arrive musique en tête au studio. Vision d’horreur, elle est pendue. Pourquoi ? Pourquoi ? Oui pourquoi je n’ai rien dit ? Pourquoi j’ai laissé faire. Aujpurd’hui je pleure ma collègue. J’ai fais semblant de ne pas voir. Malgré moi je l’ai tuée. Je la vois encore sourire sous ses pas. Je la vois s’exprimer librement. Je n’ai plus que ce morceau de film comme souvenir.
« Ne sois pas trop dur envers toi. Tu n’es pas le seul à ne rien dire. Je ne suis pas la seule à subir. J’ai choisi de partir sous une note de plaisir où j’étais vraiment moi. Je ne t’en veux pas. Tu sais, le seul moyen est de dénoncer, de combattre ce fléau millénaire. Ne pleure pas. Ne te terre pas. Je ne suis plus mais je ne souffre plus. Mon œil de spectacles, dans ton regard, j’ai cherché l’aide, j’ai trouvé la délivrance sur scène. Loin de lui, j’ai souri de bonheur. Ne le laisse pas en pourchasser une autre. Ensemble on peux se lever dans le monde entier, montrer que les proies peuvent se lever pour dire non. Aujourd’hui je dis non mais il est trop tard pour moi. Toi, derrière ta caméra, crie le pour moi ! Haut et fort, crie le pour moi ! »
Ce texte a été écrit en participation à l’atelier d’écriture de Léiloona.
et oui c’est l’affaire de tous et faire changer le regard ne concerne pas que les femmes
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Ai-je réussi à crier les maux assez forts ?
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Wow… au début je trouvais que nos deux femmes se complétaient et se répondaient même, alors la suite m’a fait un sacré coup. Texte dur, mais porteur.
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Merci. Il est temps que l’homme lui-même stop l’inégalité.
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Un texte fort et brutal mais qui est malheureusement également très réel.
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Dire et faire ressentir les choses graves faut être dur, car cela est inacceptable.
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J’ai trouvé le début splendide et puis… et puis cette pendaison alors que je viens d’apprendre, là, ce matin, qu’un enfant à l’école de mon fils a fait pareil, ça me bouleverse.
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Merde ! Merde! les larmes me coulent, paix à son âme à cet enfant.
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Bien peu d’homme ou de femmes réagissent à ce genre de situation. Et pourtant tu as raison, la force du nombre peu tout.
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Quand la force est multipliée d’un côté comme de l’autre d’ailleurs on finit par gagner.
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En arriver là pour défendre son propre droit et celui des autres, je trouve ça épouvantable. Mais sans doute n’avait-elle pas d’autre choix…
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On fait tous un choix dans sa vie bien ou mal. Je suis ému par le drame que m’apprend
Olivia Belington. J’ai trouvé le début splendide et puis cette pendaison alors que je viens d’apprendre, là, ce matin, qu’un enfant à l’école de mon fils a fait pareil, ça me bouleverse.
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Texte choc, un début où la femme se libère par la danse, une fin où elle s’évade par la mort…
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Merci par votre commentaire qui résume mon texte en une phrase.
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Le SEXISME, fléau millénaire; luttons pour éradiquer ces inégalités; les lois, décrets font peut-être avancer la chose, mais trop d’images véhiculent cette image de la femme-objet, séductrice avant tout, et puis les religions ont tellement fait de mal en ne la mettant pas sur le même plan humain que celui de l’homme…le sexisme aujourd’hui est un héritage de tous ces préjugés dus à l’inculture, l’ignorance, la peur d’un être qui a l’air différent.
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Les textes, les lois avancent doucement surement peut-être. Mais je crois que l’homme en général se cache derrière sa culture, sa religion par ignorance.
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texte oh combien brutal mais touchant …
merci à toi !
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Merci pour votre commentaire, But gagné alors.
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j’ai aussi ce thème de la danse, joli texte touchant
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Merci, démontrer l’indémontrable car souvent il est montrable du doigt, mais souvent le silence l’anéanti.
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Oula ! Un texte très fort, très bien écrit …
La fin est poignante mais amenée de façon tellement subtile … Bravo !
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MERCI, j’ai joué de l’œil, à la danseuse subtilement pour emmener le sujet en douceur avec un mélodrame de brutalité.
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Ping : Atelier d'écriture autour du sexisme | Bric à Book
texte qui serait bien adapté pour un court métrage dans une campagne contre le harcèlement!
bravo Monsieur !! vous n’êtes pas tous les mêmes !!
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Heu ! Là, je suis ému par votre commentaire. Si la culture était une parole, les choses évolueraient certainement dans l’égalité, la fraternité et surtout dans la liberté. Aujourd’hui l’évolution grandit mais les sales habitudes restent. Nous devons changer l’homme par la culture.
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Je rejoins Marianne : ce texte est une trame idéale pour une campagne !
C’est notre affaire à tous, mais en 2015, il faut encore se battre pour des valeurs qui constituent la devise française (je parle pour le cas français bien-sûr).
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Un problème récurrent mondial où seul la culture regrouper pourrait par le rassemblement bouger les choses. Que les lois de notre république soient appliqués avec conviction et sévérité. Je parle de ces hommes et femmes, qui volent le droit de l’autre.Merci pour ce commentaire.
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J’ai pris une claque!
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Désolé alors, car je suis contre toute violence et injustice.
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La chute m’a laissé sans voix… J’ai beaucoup apprécié le petit paragraphe de fin.
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MERCI c’est gentil.
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